Le marché de l’emploi africain est un goulet d’étranglement pour de nombreux jeunes actifs. Son élargissement comporte de forts enjeux de stabilité économique, sociale et politique. Une problématique aggravée par la très grande vigueur démographique du continent. Certains pays africains tentent d’y apporter des solutions innovantes, à l’image du Bénin ou de la Côte d’Ivoire.
Comment venir à bout du chômage de masse des jeunes en Afrique de l’Ouest ? En 2014, le 4ᵉ sommet panafricain des jeunes leaders des Nations unies, à Dakar, donnait la parole à Dramane Haidara, représentant de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur cette question. Il alertait déjà sur les risques du chômage de masse pour la cohésion sociale qu’il qualifiait de “bombe à retardement”.
Moins de dix ans plus tard, la tendance ne s’est pas inversée. L’Afrique compte 60% de jeunes dont 33% dans la tranche des 15-35 ans. Sur ce total, près d’un quart est au chômage ou travaille dans l’économie informelle, sans compter près de 300 millions d’emplois vulnérables.
Or, les risques induits sont réels et s’aggraveraient à l’horizon 2050, où le continent comptera plus de deux milliards d’habitants. L’Afrique doit impérativement trouver une solution pour transformer son dividende démographique en véritable capital humain. La démographie, c’est la puissance. Mais sans capacité d’absorption dans une économie stable, elle devient un facteur d’instabilité via la pauvreté et les frustrations qu’elle crée. Selon une étude de la Banque mondiale, le passage à l’acte au sein de groupes séparatistes ou terroristes serait due à 40% au chômage…
Inadéquation de la formation
Pourquoi un marché de l’emploi aussi faible ? Il est probable que le modèle économique de nombreux pays africains soit en cause. En aucun cas des économies basées sur l’extraction de matières premières, ou bien des rentes agricoles, ne peuvent fournir du travail à l’ensemble d’une population. Mais la problématique n’est pas mono-causale.
Encouragé par l’ONU, le primat de l’éducation, selon des standards occidentaux, a causé de sérieux dégâts. Ainsi, le niveau d’éducation a augmenté plus vite que les emplois créés : entre 2000 et 2010, le nombre de diplômés africains aurait triplé… De plus, la majeure partie des étudiants s’orienterait vers les filières générales, peu adaptées à un marché du travail africain déjà très contraint.
De facto, les filières techniques (bâtiment, agriculture), ou technologiques (numérique) seraient majoritairement délaissées et, dans l’ensemble, de mauvaise qualité. Une situation illustrée par la phrase de Dramane Haidara : “Les économies africaines sont à 80% rurales, mais il n’y a pas un seul lycée agricole digne de ce nom”.
À ce titre, la question agricole est révélatrice. Stratégique pour absorber la hausse démographique, celle-ci est un parent faible du continent. L’Afrique n’est pas autosuffisante alimentairement. Ainsi, le Nigeria, la RDC et la Guinée-Conakry disposent des potentiels agricoles parmi les plus prometteurs du continent, voire du monde. Mais, en dépit du fait que le secteur agricole emploie la majorité de leurs populations respectives (exploitations vivrières), ils importent toujours une grande partie de leurs produits agricoles.
Des solutions existent et sont actuellement mises en œuvre. Ainsi, le Bénin, touché par un fort chômage des jeunes (39%), a fait de la revalorisation de ses filières techniques sa priorité : celles-ci n’étant choisies que par 3% des élèves. Dans le cadre de la “Stratégie nationale de l’enseignement technique et la formation professionnelle”, le gouvernement prépare l’ouverture d’une cinquantaine de lycées techniques à l’horizon 2026. Ils couvriront des secteurs variés et en demande d’emplois : agriculture, énergie, numérique, infrastructures, transport, tourisme), mais aussi sept écoles supérieures. Un effort qui devrait appuyer l’action du gouvernement dans la dynamisation et la modernisation des principales filières agricoles du pays, dans le cadre du Programme d’Actions du Gouvernement 2021-2026.
Enfin, l’action du Bénin en faveur de la simplification administrative pour la création d’entreprises peut aussi être considérée comme une action en faveur de l’emploi. Le Bénin est désormais, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, le pays du monde où l’on crée le plus rapidement une entreprise.
Cette politique n’est pas passée inaperçue. Elle a facilité de grandes levées de fonds, inédites par leur ampleur, réalisées par le ministre de l’Économie et des Finances Romuald Wadagni. En 2021, le pays est ainsi devenu le premier pays africain à réaliser un eurobond dédié au financement de projets à fort impact sur l’atteinte des Objectifs de développement durable des Nations-Unies, pour un montant de 500 millions d’euros. Elle a aussi participé au relèvement de la crédibilité financière du pays, que Fitch Ratings note B+ avec perspective stable.
Fuite des cerveaux
Dans la majorité des cas, l’entrée sur le marché du travail est synonyme de chômage ou d’activités dans l’économie informelle. Il est en partie responsable de l’exode rural qui touche le continent. D’ici à 2050, plus de 60% de la population du continent sera urbaine. Un facteur de risques sanitaires et politiques très importants si les problématiques d’emploi ne sont pas réglées d’ici là.
Certains profils sont tentés par l’immigration en Europe ou dans les pays développés. Pour découvrir qu’ils ne sont pas adaptés non plus au marché du travail local
Certains profils sont tentés par l’immigration en Europe ou dans les pays développés. Pour découvrir qu’ils ne sont pas adaptés non plus au marché du travail local. Sans compter les difficultés liées à l’inévitable choc culturel. C’est pour travailler à l’insertion de ces jeunes que la Côte d’Ivoire a créé un réseau d’”écoles de la seconde chance” afin de reconvertir les diplômés sans emplois. L’objectif est de réinsérer environ un million de demandeurs d’emplois. En outre, le pays, producteur net d’électricité, compte sur la transition énergétique verte pour générer des besoins croissants de main d’œuvre qualifiée.
Plus grave encore, une grande partie des diplômés à haute valeur ajoutée, comme les médecins ou les ingénieurs, choisit aussi l’immigration. Ils sont encouragés par les meilleures conditions de vie, et de travail, et des salaires attractifs. En 2014, une étude d’Angèle Flora Mendy intitulée “la carrière du médecin africain en Europe” avait mis en valeur ce phénomène.
Il s’agit d’un problème sous-estimé, car il entraîne la fuite de compétences utiles pour leur pays d’origine. L’Europe compte ainsi des dizaines de milliers de médecins africains. Parmi ceux finissant leurs études sur le Vieux-continent, une grande partie y resterait installée après ses études.